Nez dessiné en un contour parfaitement net. Elle avait une architecture nasale un rien trop courbée. Ne lui demandez pas, à lui, d'en tenir une entière description, d'en faire une profonde conversation. Il en eut été capable, c'est vrai : les ressources étaient là, juste sous son nez.
Mais comme tout un chacun, il ne savait découvrir les pouvoirs de l'image. Il en est qui se contentent d'emmagasiner, d'encastrer une image, aussi belle soit-elle, dans un tiroir bien caché de leur tortueux cerveau.
J'aime à croire que c'est parce qu'il est un dédale emmanché que ce cerveau que l'image, tentant désespérément d'échapper au caprice de succomber au Minautore, se blottit dans les creux tiédasses des synapses avant d'atteindre l'ordre parfait, la symétrie de l'œil masculin.
Elle est là cependant ; elle, avec son nez. Ou dirais-je, elle avec ce contour provocant.
Dans l'instant immortel où elle épousa ce contour, elle avait forcé le sort. Comme en ces jours où l'impression de déjà vu nous prend, ce contact immédiat entre ce contour et sa forme, cette coïncidente coïncidence lui avait fait illusion.
Je la revois encore immobile et la courbe concave glissant sous la lumière. Elle aime à jouer à faire rebondir, refléter les rayons cholériques. Elle est belle tentant d'en dominer quelques-uns et de se donner aveugle à leurs caresses incessantes.
Qu'il est fragile cet instant où, un fil aiguisé prêt à exploser, la femme se connaît belle! Elle a usé des vieux tours et des immondes tourments.
Elle s'imagine encore posant, pierre après pierre, élaborant, tourment après tourment et disposant des recoins impénétrables. Non, l'idée elle ne l'avait pas cherchée. Tombée du ciel, oserais-je le dire, comme un sens inouï et inévitable qui s'impose à l'inconscient. Et d'éprendre le monstre, la suffisance lui donnait faim.
Une grande innocence se distinguait le long des traits. Traits féminins et très aquilins que ce trait nasal disposé à sa vue. Comme un unique paysage ; un point imposant dont on ne peut se détourner.
Et la construction malencontreuse d'une inconsciente forteresse me fait sournoisement penser à une tour invisible, colonne d'air ou courant de pensée emprisonnant...
N'était-elle point elle-même emprisonnée ? Si ma mémoire ne me fait point défaut, je peux encore tenter d'apercevoir ses cris.
Ces cris humides, bien humides...
Et larmes impossibles qui lui coulent en cheveux.
Or, me direz-vous, il s'agit ici du propre cerveau de l'autre. Les phagocytes en puissance aux amonts des dédales.
Et oui, l'expropriation domine l'amour par l'image. Le pouvoir fort du sexe regorge de passerelles innombrables aux vertus parasites.
Mmmm...
En effet, les prises de paroles et les coups de têtes, il ne les contrôlait que très maladroitement. Loin de lui l'idée exubérante d'évoquer un rite maléfique ; bien qu'il eût entendu parlé de ces métaphoriques pansements.
Il restait stupéfait, cependant, des expériences de plus en plus étranges, d'une étrangeté simple, il est vrai, que lui imposait la courbe de ce nez mis ainsi comme sur un piédestal.
Oups, un lapsus !
Et pendant que l'idée se propageait lentement le long de ses synapses, l'information courait aussi en elle. Et ce lapsus, fatale erreur que d'identifier l'objet du désir pur comme étant le nez et non la femme, ce lapsus n'était en soi qu'un indice de la voie qu'avait emprunté l'autre : il était tomber. D'une chute délicieuse. D'une échappée maladroite à bord d'un dirigeable boiteux et utopiste.
Elle sentait se tendre les cordes, les doux tremblements des tiraillements de ceux qui s'arrachent sur le crâne. Les cordes comme point de repère lâche et délaissé qui le retenait lui, au sol. En elle mystifié. Elle qui se donnait tout entière à la parole, tout entière à la parole que cache l'image.
La capture n'est qu'un prétexte.
Elle, tout en cheveux, ne bougeait que d'effritements. Un guide imperturbable de la chute ou témoin consentant d'un viol psychologique : entre le froid de ses yeux et le calme de sa peau, nous ne savons choisir. Je ne retiens que les pores, ceux que l'image, porte baillante, consent à donner. Ils s'adonnaient à la lumière presque immobile, elle aussi. Focalisée en la tour invisible ou encore en les pierres innombrables du labyrinthe tout tracé.
C'est par ici !
Et les cheveux se tendaient un à un arraché. Et les frissons coulaient le long de l'échine. Et atteignant la fente des fesses en un chatouillement magnifique, se mouraient.
Elle en une marionnette. Celle qui tend son nez. Celle qui obéit.
L'ordre du plaisir ne se contourne pas.
Quand le nez à nouveau se tend, il m'eut semblé qu'ils avaient tous deux perdu, non ?
Les enchantements et pouvoirs sont extraits de son âme, à lui, se mêle à son âme, à elle.
Ou se mélangent-ils entre les pores du nez. Ses pores tirés, cheveux extravagants, assouvissent les silences de l'image.
Il aurait manqué aux attentes. Il m'aurait manqué à moi.
Quand l'image s'implicite ainsi, puis-je encore croire qu'il me voit ?
Jouant aux fées déguisées, me noyant dans les mythes et histoires insolites...
Me mordant moi.
Un peu plus loin, un peu plus profond, je suis là où jamais tu ne m'attraperas.
Quand s'étend la seconde, respire-t-il encore ?
Le lien entre sa gorge et la sienne est d'une puissance violant les règles. De ces puissances qui montent d'un côté et qui descendent de l'autre, je n'en connais que peu.
L'ariane ironique est ici béante.
Elle me supplante dans le ricanement.
L'image de ce nez, suspendu dans le froissement de l'air. Illusion d'optique mais elle y croit. Elle s'approprie le rôle de la belle sauveresse d'un conte où il s'engouffrerait, lui tout entier...
...d'un seul coup avalé par l'image immobile de cette déchirure du décor.
Mais je continue à croire que, de la tour invisible, de la brûlure du soleil, juste avant de tomber encore, ce ne sont plus eux qui chutent.
Mais je continue à croire que, de la fixation, de l'expropriation, partout où mes désirs se forment, ce n'est qu'un nez qui pleure.
-eos-
14/02/06
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire